Insights and perspectives
Devenir une organisation apprenante : un nouvel enjeu stratégique pour l’entreprise
Digitalisation, modes de travail hybrides, volatilité ou pénurie des talents, évolution des marchés, des attentes des clients comme des collaborateurs, un nouveau défi se pose pour les entreprises et plus particulièrement pour les DRH : anticiper les besoins en compétences et disposer des compétences clés en temps réel. Cette dimension d’accompagnement du Workforce Planning implique que les collaborateurs soient en mesure de se former en continu pour pouvoir eux-mêmes accroître la robustesse de l’entreprise et accompagner ses inéluctables transformations. Ainsi, la première des compétences devient « d‘apprendre à apprendre ». L’entreprise se doit, quant à elle, de fournir les conditions d’exercice de cette responsabilité.
Pourquoi évoluer vers une organisation apprenante ?
Aujourd’hui, l’enjeu du développement des collaborateurs est au cœur du système d’exploitation de l’entreprise. C’est d’abord un facteur d’attractivité, car les talents recherchent plus que jamais des environnements qui leur permettront à la fois de développer leur potentiel et leur employabilité. C’est aussi un facteur de rétention, car si faire cette promesse de développement professionnel engage l’entreprise, la tenir renforce l’engagement des collaborateurs qui sont reconnaissants de trouver dans l’organisation les ressources pour construire une meilleure version d’eux-mêmes. Par ailleurs, le développement des compétences, savoir-faire comme savoir-être, participe d’une expérience collaborateur satisfaisante tout en servant la performance. Enfin, dans un contexte de perpétuelle transformation, cela nourrit le terreau de la capacité de tous à évoluer autant que les perturbations de l’écosystème le nécessitent.
Le monde VUCA (Volatile, Uncertain, Complex, Ambiguous) est déjà derrière nous. Le prospectiviste, Jamais Cascio, membre de l’Institut du Futur, parle désormais de monde BANI : B pour Brittle (fragile), A pour Anxieux, N pour Non linéaire et I pour Incompréhensible, appelant les entreprises à gérer non seulement la complexité qui reste réelle, mais aussi des situations de plus en plus imprévisibles. Il interroge la fragilité de nos systèmes actuels en insistant sur les méfaits de l’anxiété ambiante et de la cacophonie informationnelle qui brouillent les pistes et affectent nos capacités de raisonnement, tant au niveau individuel qu’au niveau de l’organisation. « La fragilité peut être combattue par la résilience, l’anxiété peut être apaisée par l’empathie, la non-linéarité a recours à la flexibilité, l’incompréhensible demande de la transparence et de l’intuition » nous dit-il. Dès lors, nous comprenons bien que l’entreprise et leurs business model sont amenés à vivre un véritable changement de paradigme visant à rendre les organisations plus « adaptatives ». On parle même désormais d’entreprise « regénérative » c’est-à-dire créatrice de valeur sous toutes ses formes y compris humanistes. Il s’agit d’entreprises qui contribuent à la préservation ou à l’amélioration de leur environnement et du bien-être des personnes tout en assurant leur viabilité économique. Or les organisations sont d’abord faites d’hommes et de femmes qui doivent d’abord évoluer à leur niveau pour que le collectif soit en mesure de se transformer.
« Organisation apprenante », de quoi parle-t-on ?
Les organisations apprenantes sont des entreprises qui accordent une importance significative et non feinte à la formation et à l’évolution de leurs collaborateurs, bien au-delà des simples obligations règlementaires. Elles considèrent en effet le développement continu des compétences et aptitudes de leurs équipes comme un capital et un « asset » à part entière, leur permettant d’améliorer leur performance et d’être plus compétitive sur les marchés.
A quoi reconnaît-on une organisation apprenante ?
- Une culture de l’apprentissage : elles créent une culture qui encourage l’apprentissage, la prise de risque et l’expérimentation.
- L’évaluation continue : elles évaluent régulièrement les compétences acquises et aident leurs collaborateurs à en développer de nouvelles.
- La flexibilité : elles peuvent rapidement mettre en œuvre les moyens de s’adapter aux changements, notamment grâce à la démultiplication de la capacité de leurs collaborateurs à apprendre et donc à s’adapter.
- La collaboration : elles encouragent et organisent le brassage d’idées, de connaissances et de bonnes pratiques et la coopération.
- Les technologies : elles utilisent les technologies de l’information pour faciliter l’apprentissage, développer la collaboration et simuler les situations au plus près de la réalité du terrain.
- De nouveaux modes de Leadership : dans ces organisations, les leaders endossent une posture de mentor qui encouragent et soutiennent le développement continu — au moins autant que la productivité immédiate — et considèrent la formation comme un véritable investissement sur l’avenir plus que comme un coût immédiat ou un temps improductif.
Quid des universités d’entreprise dans ce contexte ?
Les centres de formation, universités ou académies d’entreprise sont directement impactées par ces tendances. Elles sont notamment rattrapées par la digitalisation et par les méthodes collaboratives.
Quelles évolutions se dessinent prioritairement ?
- L’offre de formation en ligne : sans être suffisante, elle devient incontournable et permet de proposer une plus grande variété de programmes et de formats pour permettre aux collaborateurs d’apprendre à leur rythme et à leur convenance selon leurs modes préférentiels.
- La personnalisation : les traditionnels « LMS » (Learning Management System) sont progressivement remplacés par les LEP (Learning Experience Platform ou Learning Engagement Platform) qui offrent l’opportunité d’alterner les rôles d’apprenant et de concepteur ou formateur et commencent à utiliser l’analyse de données pour personnaliser les programmes de formation en fonction des besoins individuels des collaborateurs, de ce qu’ils ont déjà fait ou consulté ou de leur profil RH.
- La gamification : que ce soit en on-boarding, en formation ou en assessment (notamment pour des passages cadre, Manager ou Directeur…), les entreprises intègrent désormais des serious game ou escape game pour permettre à leurs collaborateurs de découvrir de nouveaux concepts, d’explorer leur lieu de travail, de tester leurs réactions, d’exploiter leur potentiel ou définir des pistes de progrès, de s’approprier des éléments de discours sur les produits ou services de l’entreprise, de tester leur capacités ou leur niveau de maturité « digitale » par exemple…
- La réalité augmentée et virtuelle : encore coûteuse, elle va tendre à se démocratiser. Les universités d’entreprise commencent à fournir des expériences d’apprentissage plus immersives, quitte à mutualiser les coûts de développement avec d’autres entreprises ou avec les concepteurs de solutions eux-mêmes.
- La collaboration en temps réel : les universités d’entreprise se saisissent de plus en plus des sujets de déploiement des méthodes et outils collaboratifs, notamment en accompagnement de la conduite du changement. Elles ont pour cela recours à des plateformes collaboratives qui sont à la fois des knowledge center, des carrefours d’échange de bonnes pratiques et des foires aux tips & tricks tout en mettant toujours à disposition un catalogue de formations qui peut proposer jusqu’à des centaines de modules sur des thèmes très variés.
Quel avenir pour la fonction Formation dans ce contexte ?
L’évolution du rôle et du statut de la formation en entreprise est une conséquence directe du besoin de rester compétitif dans un environnement en constante évolution. La formation glisse d’une commodité à un atout concurrentiel et fait partie intégrante du kit de survie de l’entreprise.
La dynamique en marche s’articule notamment autour des points suivants :
- La formation doit désormais être considérée comme un investissement stratégique.
- Le focus sur les compétences clés : au-delà des expertises et des compétences techniques, les entreprises vont devoir accorder plus d’importance aux soft skills telles que la résolution de problèmes, la collaboration et l’esprit critique, etc.
- Le développement de carrière : la formation devient l’épine dorsale de l’évolution des collaborateurs et de leur employabilité. L’entreprise doit désormais leur proposer de véritables parcours ou career paths avec des expériences variées (mobilité internationale, vis-ma-vie, échanges de cadres, shadowing, etc.) et des aires de mobilité assorties des accompagnements ad hoc.
- La flexibilité : les entreprises offrent des options de formation plus flexibles pour s’adapter aux rythmes des collaborateurs et à leurs besoins individuels.
- La collaboration : nous l’avons déjà évoqué dans le champ de responsabilité des universités d’entreprise mais bien qu’elle se cultive de différentes façons, c’est la formation qui va le plus souvent proposer des solutions pour développer la capacité à coopérer des collaborateurs
- L’approche globale : la formation est intégrée à la stratégie globale de développement de l’entreprise. Elle intègre et nourrit l’évaluation de la performance et le système de reconnaissance. Tour à tour, elle génère de la performance et elle récompense les efforts.
Devenir une organisation apprenante : entre risque et opportunité
Devenir une organisation qui a une conscience aigüe de son écosystème, interne comme externe, et qui s’en nourrit autant qu’elle y contribue, est une réelle opportunité. L’entreprise apprenante favorise le développement de pratiques et de réflexes permettant à chacun d’alterner des positions d’apprenant et de facilitateur du partage du savoir. Elle fait en sorte que chacune des parties prenantes, collaborateurs, clients, prestataires comme investisseurs apprenne les unes des autres et co-construisent des solutions. C’est dans ce principe d’ouverture, de collaboration et d’amélioration continue que l’organisation apprenante tire sa capacité à s’adapter. Elle répond ainsi aux alertes de l’environnement en privilégiant l’expérience, la cross fertilisation et le test & learn. Elle incite à penser positivement les changements externes et à les traduire en stratégies d’adaptation interne, jusqu’à pouvoir elle-même influencer son environnement par sa capacité à stimuler l’intelligence collective, l’amélioration continue et l’innovation.
Comme le disait déjà Héraclite « Il n’y a de permanent que le changement » et notre environnement Politique, Economique, Social, Technologique ou Légal (cf. modèle PESTEL) change de plus en plus rapidement. Si une entreprise ne se transforme pas assez vite, elle prend le risque de sortir rapidement du décor. Nombre d’entreprises que nous pensions immortelles ont dû déposer les armes faute d’avoir su s’adapter.
Or, pour se transformer en organisation apprenante il est nécessaire que les dirigeants de l’entreprise adoptent une démarche volontariste dans la valorisation du temps passé à apprendre ou à développer et à partager les compétences de chacun. Ce temps doit être autant valorisé que le temps dit « opérationnel » ou « productif ». Les managers et les collaborateurs doivent aussi faire preuve de volonté et d’élan pour se lancer dans l’aventure. Pour ce faire, il est impératif de briser les boucles de croyances limitantes qui empêchent les organisations d’évoluer en portant dans la mémoire collective, et souvent de façon inconsciente, un certain nombre de freins liés à de vieux schémas culturels ou à des usages qui n’ont jamais été remis en question. Cela implique d’identifier ces croyances et de les questionner de façon objective pour installer progressivement une culture plus dynamique et plus adaptative.
Un autre frein potentiel est le manque d’exemplarité des dirigeants qui contribue à décourager les meilleures volontés. Saviez-vous que « quitter son manager » est l’une des premières raisons invoquées lors de des leave feedbacks ? Bien plus que la rémunération ou l’absence de baby-foot ou de salle de sieste ! Les changements de postures induits par une organisation apprenante remettent en cause les fonctionnements hiérarchiques usuels. Les managers peuvent y voir une remise en cause de ce sur quoi ils fondaient jusqu’alors leur crédibilité et leur légitimité et en éprouver du malaise voire du ressentiment. Or, aujourd’hui ce n’est plus tant l’expertise, le brio ou le statut qui comptent mais plutôt la propension à partager, déléguer, faire du feedback, tirer des leçons de l’expérience pour soi et avec les autres, chercher des solutions plutôt que des coupables… Cela suppose une véritable conversion à des modes de fonctionnement et de travail plus ouverts, privilégiant des micro-changements permanents, tout en cultivant une vision « macro » de son environnement. Le manager devient un facilitateur, un catalyseur et un soutien, habile dans l’art de concilier la satisfaction de ses équipes et les intérêts de l’entreprise. En toute logique, au sein d’un dispositif apprenant de ce type, le développement des compétences interpersonnelles et plus généralement des soft skills est donc bien essentiel.
Pour conclure : l’organisation apprenante est fondamentalement agile
On le comprend, les organisations apprenantes redéfinissent les contours de la formation en tant qu’objet et des universités d’entreprise en tant que véhicule. Devenir une organisation apprenante n’est pas sans risque car cela remet souvent en cause la culture, les modes de fonctionnement et les hiérarchies. A cet égard, les méthodes dites Agiles proposent des manières de travailler et des outils qui accompagnent en douceur et avec efficacité les changements mais aussi une nouvelle façon de considérer le développement des compétences. A cet égard, le principe du « SHU HA RI » est particulièrement intéressant.
Ce concept issu à la fois des arts martiaux japonais, de la Voie du Thé et du Bouddhisme, propose un apprentissage en trois étapes :
1. SHU : apprendre les fondamentaux selon les règles établies avec humilité
2. HA : appliquer les règles tout en les questionnant, comprendre les subtilités et trouver des exceptions ou de nouvelles approches avec pragmatisme
3. RI : transcender ou adapter ce qui a été appris par la créativité et dans l’intérêt collectif
Le chemin du changement vers l’organisation apprenante ne se décrète pas plus qu’il ne s’improvise. Il suppose de mettre en place une vraie stratégie d’évolution du business model de l’entreprise et des façons de travailler, de piloter plusieurs chantiers simultanément et d’engager les dirigeants et les managers dans une évolution profonde de leurs postures, ce qui est difficile à faire quand on se retrouve à la fois juge et partie. L’accompagnement d’un tiers de confiance, comme Valthena, est une bonne solution pour cadrer la démarche, impliquer chacun des acteurs au bon niveau, soulever les questions inconfortables, lever les résistances et jalonner le parcours de quick wins visant à entretenir la flamme sans oublier que souvent « Ce n’est pas le but qui compte mais le chemin » (Lao Tseu).